Antoine Dionne, génération V
Plusieurs raisons nous ont amené à nous intéresser particulièrement à Antoine Dionne, fils de Benjamin. Dans la lignée de nos ancêtres, il apparaît en quatrième génération, après Antoine, originaire de France, Jean, son unique fils survivant, Joseph, le notaire-royal qui a exercé à Ste-Anne-du-Sud et Benjamin. Toujours dans notre lignée, il fut le seul à porter le même nom que notre premier ancêtre. Rappelons aussi que Benjamin, son père, n’a laissé que deux fils survivants (aucune fille), dont un premier issu de son premier mariage avec Angélique Fournier, et l’autre, Antoine, issu de son second mariage avec Marie-Louise DeLavoie. Par contre, le grand-père Joseph, notaire-royal, avait eu 14 enfants dont Catherine et Anne, deux jumelles, décédées à l’âge de 18 ans, Louis-Roch, décédé lui aussi à 20 ans, ainsi que trois autres décédés en bas âge.
Les nombreux actes de notaires que nous avons pu retracer nous ont fourni une foule de renseignements précieux sur la vie d’Antoine Dionne, fils de Benjamin et époux de Marie Salomé Miville dite Déchêne. C’est ainsi que nous avons pu reconstituer en détail les événements déplorables qui ont suivi le décès d’Antoine, en juillet 1839. Tout a commencé le 11 avril 1794 alors que décéda Benjamin, le père d’Antoine, à La-Pocatière, alors qu’il n’était âgé que de 54 ans. On présume que ce décès précoce a pris tout le monde par surprise et que Marie-Louise DeLavoie, sa veuve, fut très désemparée. Son seul fils, Antoine, n’avait alors que 19 ans. Qu’à cela ne tienne! Dès novembre 1795, Antoine et Salomée Miville (elle n’a que 15 ans) signent leur contrat de mariage devant le notaire H. Cazes à Ste-Anne. Il est bien évident qu’Antoine se devait, en tant que fils unique, de s’occuper de sa mère après le décès de son père, puisque l’autre fils issu du premier mariage de Benjamin, Alexis, s’était marié en 1791 et avait déjà quitté le foyer.
En guise de douaire, Marie-Louise fit donation de tous ses biens à son unique fils, avec bien entendu une foule d’obligations à remplir, comme c’était la coutume d’alors. Les biens qu’elle cède à son fils sont constitués d’une terre de deux arpens de front par 40 de profondeur située en bordure du fleuve St-Laurent, en longeant le Chemin-Royal, dans la grande Anse de La-Pocatière. On peut très bien situer cet endroit sur une carte de l’époque. Nous suggérons très fortement au lecteur de lire intégralement la transcription de ce document écrit par le notaire Cazes (section 3-1 en annexe). Noter que ce contrat de mariage n’est signé que par un seul notaire alors que la loi exigeait deux témoins instrumentaires. Est-ce par oubli ou par ignorance ? On comprend mal qu’un notaire commette une pareille gourde et que personnne ne s’en aperçoive, même après 40 ans. Aux yeux de la loi, cet acte est invalide. Le mariage sera célébré devant l’église; les deux époux seront mariés en communauté de biens, mais sans testament valide (ab intestat).
C’est confortablement installés sur le bien paternel, en bordure du fleuve St-Laurent, à La-Pocatière, qu’Antoine Dionne et Marie Salomé Miville commencèrent à élever leur belle grande famille. On suppose que la mère d’Antoine, Marie-Louise, finit ses jours en compagnie de son fils et de sa bru, dans sa belle grande maison, dont on connaît un peu les détails par la lecture des autres documents notariés.
De 1795 à 1823, Antoine et Salomé eurent sans doute beaucoup de bonheur à élever leurs quinze enfants dont douze ont survécu et trois fils sont décédés en bas âge On compte 7 filles et 5 garçons vivants: Joseph, notre ancêtre, Marie-Scholastique, Salomée, Anastasie, Ubald, Augustin, Zoé, Marie-Julie, Henri, Olympe, Hortense et Cyprien. Parmi ces enfants, tous ont trouvé mari ou femme, sauf Henri qui s’est destiné à la prêtrise. Même cultivateur, avec beaucoup de bouches à nourrir, Antoine trouva le moyen de faire instruire son fils Henri qui, semble-t-il, possédait beaucoup de talents, non seulement pour les études mais aussi pour la musique et les arts. Nous avons d’ailleurs consacré un long chapitre sur la biographie de Henri Dionne, curé du Madawaska.
Dès juin 1825, notre ancêtre Joseph épousa Séraphine Dubé. C’était le premier mariage dans la famille Dionne. Selon le contrat de mariage passé devant Mtre Letellier, Joseph reçoit de ses parents une terre de 2 arpens située dans le quatrième rang de Kakouna, avec une maison de 25 pieds par 25 pieds à construire d’ici la Toussaint. On présume que Joseph a occupé cette terre durant un certain temps. Ce n’est que sept ans plus tard que naîtra la première fille de Joseph qui s’appellera Séraphine, comme sa mère. Le 9 février 1836, JOSEPH se remarie avec Julie Plourde. C’est à Ubald que revint le bien paternel. En effet, le 22 février de la même année, Antoine fait donation de tous ses biens à son fils Ubald qui ne sait pas ce qui l’attend. En effet, cette donation contient tellement de charges pour le donataire qu’il devient pratiquement impossible de les respecter. Deux ans plus tard, le 22 janvier 1838, il signe une rétrocession en faveur de son père Antoine. La charge est trop lourde à supporter. C’est à croire que Salomée, sa mère, se prenait pour une millionnaire à la retraite. En guise de compensation, Ubald reçut de son père une terre située dans le 4ième rang de la seigneurie de Kamouraska que Joseph venait d’échanger avec son père contre une terre voisine du bien paternel. On peut présumer que Joseph se préparait à accepter la succession du bien paternel, le moment venu. Cela ne tarda pas.
Le 21 juillet 1839, c’est la catastrophe! Antoine décède subitement. On réalise alors que son contrat de mariage passé devant le notaire Cazès, en 1795, n’était pas valide de sorte que les biens de la Communauté issue du mariage appartiennent en partie aux enfants et en partie à la veuve. En conséquence, la moitié de la succession revient de plein droit aux douze enfants, et l’autre moitié à son épouse, Salomée Miville dite Deschênes. Mais il y a un autre problème encore plus grave. Antoine était cousu de dettes dont la plus importante contractée chez l’écuyer-marchand de La-Pocatière. Ce dernier a sans doute menacé de saisir les biens de la succession puisque l’on doit procéder à leur inventaire; ce qui occasionne encore des fraîs supplémentaires (notaire, priseur, etc). Après inventaire et vente des biens à l’encan, il ne reste que quelques louis à répartir entre les héritiers. La plupart d’entr’eux, par crainte de devoir rembourser certains biens qu’ils avaient déjà reçus du vivant d’Antoine, renoncent à la succession de sorte qu’il ne reste que six héritiers sur la liste, la veuve et six enfants ayant renoncé. Bref, la famille d’Antoine et de Salomée Miville auront vécu des moments pénibles entre juillet 1839 et février 1840. La mère de Joseph fut dépouillée de tous ses biens meubles mais semble avoir conservé encore durant quelque temps sa terre de Ste-Anne-de-la-Pocatière. Par la suite, elle alla vivre chez son fils Henri, curé de Ste-Luce, dans le Madawaska, jusqu’à son décès, le 14 mars 1861. Durant les premières années qui suivirent le décès d’Antoine, c’est sans doute Joseph qui s’occupa de sa mère, puisqu’il résidait juste à côté de la ferme familiale.